Deux cents ans après sa naissance, Frédéric Chopin (1810-1849) est de plus en plus joué sur des pianos de son époque, une tendance qui s'inscrit dans le mouvement de redécouverte des instruments anciens et illustre, sans nostalgie, la quête d'un monde sonore enfoui.
La Cité de la musique à Paris a pris une initiative longtemps impensable: programmer pendant une semaine l'ensemble des pièces pour piano seul de Chopin sur instruments d'époque exclusivement.
Du 9 au 14 mars, avec quelques jours de retard sur l'anniversaire de la naissance du compositeur (1er mars), les oeuvres seront jouées par huit pianistes sur autant de claviers. Parmi eux: cinq pianos Pleyel, maison à laquelle Chopin est resté fidèle durant les 18 dernières années de sa vie.
Edna Stern jouera un Pleyel 1842, qu'elle vient d'enregistrer pour Naïve. Un instrument proche du piano à queue de 1839 ayant appartenu au compositeur, qui est conservé au Musée de la musique mais n'est plus en état de jeu.
Jouer Chopin sur des instruments anciens est pour elle une évidence. "Chopin, plus que tout autre compositeur, est lié à l'instrument. La sensation physique, sensuelle du son est inhérente à son oeuvre", explique à l'AFP la jeune pianiste, qui vient de graver en outre un disque en duo avec la violoncelliste Ophélie Gaillard (Aparté), sur un Pleyel de 1843 cette fois.
"C'est un piano (le 1842, NDLR) très subtil. Avec un clavier moderne, beaucoup plus neutre, il faut tout inventer. Lui, au contraire, vient avec son caractère, ses qualités et ses défauts", confie-t-elle.
Les Pleyel des années 1830-1840 sont réputés pour leurs registres contrastés: un aigu clair, un medium velouté, un grave profond. Contrairement à son concurrent Erard, inventeur de la mécanique à double échappement bientôt généralisée, le Pleyel de cette époque a conservé l'échappement simple, qui empêche de répéter des notes à grande vitesse. Son toucher sensible a séduit Chopin, en quête d'intimité plus que de puissance ou de vélocité.
"Jouer sur pianos d'époque permet de comprendre la notation de Chopin, faite à partir de ces instruments. Personne ne notait la pédale avec cette précision diabolique", souligne le pianiste Yves Henry. "Si on ne comprend pas comment ces claviers résonnaient et qu'on applique la notation aux instruments d'aujourd'hui, on peut faire des contresens", estime-t-il.
L'auditeur est-il prêt à se laisser convaincre par ces instruments aux sonorités étranges, peut-être moins immédiatement séduisantes ? Alain Planès, qui a publié chez Harmonia Mundi un remarquable album enregistré sur un Pleyel 1836, en est persuadé. "Le public n'est pas si bête qu'on veut nous le faire croire. La preuve: il a accompagné la renaissance de la musique baroque. Or Dieu sait qu'il y a eu une guerre contre elle", observe-t-il.
Lui qui a une longue pratique des instruments anciens derrière lui s'amuse de l'engouement de ses collègues autour des Pleyel d'époque: "Les gens ont peur de rater le train..."
Certains, cependant, résistent encore: ainsi d'Alexandre Tharaud, qui a préféré enregistrer son "Journal intime" consacré à Chopin (Virgin Classics) sur un Steinway moderne. "Chacun doit trouver son meilleur cheval. Pour bien +chanter+ Chopin, il faut se sentir complètement libre", fait-il valoir.
"Je veux me donner du temps. Mais un jour je vais m'y mettre (aux instruments d'époque): il y a tellement de gens qui me le demandent !"